Alain Janssens

Jean-Marc Bodson. La libre Belgique mercredi 22 janvier 2014

Même s’il est passé aux outils numériques d’aujourd’hui, on peut dire d’Alain Janssens qu’il est un photographe de l’argentique. Son travail en noir et blanc, empreint de poésie, témoigne de ce que le gélatino-bromure d’argent nous donnait spontanément sans qu’il soit besoin de le préméditer. En fait, moins une qualité particulière d’image - le pixel remplace très avantageusement le grain - que le rendu des appareils photo eux-mêmes. Il y avait, en effet, un rendu spécifique à chacun de ceux-ci, obtenu non pas par une excellence technique que l’on ne parviendrait pas à égaler, mais plutôt par leurs limites. Par exemple, photographier au moyen format et à pleine ouverture limitait la netteté, mais donnait d’emblée des zones floues veloutées d’une grande sensualité.
Ce n’est pas vraiment impossible à faire avec du numérique, mais choisir d’imiter ce rendu-là, ce serait plaquer artificiellement un style plutôt que de développer un langage dans la grammaire de l’outil. C’est ce que font ces applications pastiches de "styles" anciens, notamment celui du Polaroid, embarquées dans les moindres Smartphone, et cela n’a pas plus de sens que pour un Bruxellois d’imiter l’accent marseillais. Un accent, c’est le précipité de toute une culture comme un rendu d’image est le précipité d’une osmose entre un savoir-faire et une technique.
Chez Contretype, l’exposition "Nulle part et partout", avec ses beaux tirages sur papier baryté, témoigne d’un savoir-faire qui est en train de disparaître. Faut-il le regretter ? Sûrement, comme on peut regretter la patte toute particulière du cinéma-vérité des années 60. Mais tout en sachant que refaire des films vidéo avec ce style-là aujourd’hui n’aurait pas de sens. Il faut donc tout simplement se réjouir de voir un artiste comme Alain Janssens poursuivre ce qu’il avait initié voici une dizaine d’années dans sa série "Temps brassé". Il faut se réjouir de le voir trouver des déploiements nouveaux à ce dialogue avec ce qui l’entoure entrepris alors. Lui-même ne cache pas son bonheur à produire des images, tant avec le fil de sa vie qu’avec de la lumière (et aussi beaucoup d’ombre), tant avec son œil qu’avec tout le processus de développement et d’impression. En ce compris, l’impression minutieuse, tout en nuance, du livre plutôt volumineux qu’il vient éditer à compte d’auteur.
Que ce soit dans l’exposition ou dans ce bel ouvrage, plutôt que de s’arrêter simplement aux formes, on ne peut qu’engager le visiteur ou le lecteur à approfondir son regard. Qu’il garde bien à l’esprit que chacune des images est non pas le résultat d’une volonté de faire du beau, mais d’un souci de traduire et d’enregistrer ces expériences fugaces, ces ressentis à peine conscients que l’on oublie si vite dans le déroulement du quotidien.