Alain Janssens

Territoire_Sedan, Regards sur la ville

Une résidence à Sedan avec Yves Leresche et Alessandro Parente en 2022, une exposition, un livre en 2023.

Une résidence photographique d’une semaine à Sedan, autour du travail de Roger Vincent, à trois photographes, ça vous dit ?

C’est en ces termes que Jean-Marie Lecomte nous a contacté, commissionné par Urbi & Orbi, et que la stimulante entreprise s’est engagée. Joyeusement accueilli, dans la maison de Remi-Pierre et Annick Hamel, Il fallait assumer conjointement la prise de vue, des animations dans les écoles, et en soirée, s’échanger nos impressions photographiques du jour.
Se nourrir du regard et des sujets de Roger Vincent (entre 1950 et 1970 environ), 1200 photos à découvrir sur nos écrans, chacun y portant une lecture personnelle très différente, pour préparer une semaine intense de travail fin avril 2022.

Se nourrir n’est pas copier.
Le regard porté sur la ville se devait d’être aussi un regard d’auteur.
Si la vision de Vincent est définie par la reconstruction de Sedan, par le passage radical d’une ville ancienne nourrie de l’industrie florissante intra-muros à une ville nouvelle, ses images certes, documentent cette transformation, mais nombres d’entre elles témoignent d’un plaisir évident à écrire photographiquement les lieux et la vie. Des points de vues singuliers ou des lumières modernistes à la Lucien Hervé (photographe de Le Corbusier) emportent l’image vers une forme d’abstraction renforcée par l’usage du noir et blanc.

Musée imaginaire
Mais ses photographies portent aussi en elles un musée imaginaire, le témoignage involontaire de ce que l’époque fût. Ainsi en va-t-il des gens vivant dans la rue, ensemble après ces rudes années, de leur élégance vestimentaire, du relatif dépouillement de la ville (une rue et des façades), du design, automobile par exemple ou chaque marque y allait de sa ligne clairement identifiable (une DS n’est pas une Dauphine), …

Le même et le différent
La distance des 60 années environ qui nous séparent de ces images nous a conduit à des regards qui soulignent le même et le différent. L’exposition est articulée par des séquences ou les photographes ont l’espace pour développer chacun leur univers. Son fil conducteur chemine autour des ruptures et des décalages auxquels nous sommes confrontés dans nos villes contemporaines (Sedan évidemment, mais vu comme un laboratoire plus universel). Ici l’évocation sera plus importante que la démonstration.

Cadre et strates
Quelques pistes pour asseoir le discours dans un cadre.
Car il s’agit bien de cadrer lorsque l’on photographie : y enfermer ce que l’on souhaite donner à voir, mais aussi et dans le même temps éliminer ce que l’on ne souhaite pas y inscrire, on ne saisit qu’une partie du tout. Mais on peut le suggérer et c’est dans cette tension, entre le vu et le non-vu, que la force d’une image peut s’installer.
Ainsi apparait en filigrane une accumulation des strates d’histoires (celle de Roger Vincent mais pas seulement, loin de là) qui offre une richesse patrimoniale, inscrit le présent dans l’épaisseur du temps et tisse des liens avec l’Histoire et les générations précédentes.
Et ceci souligne la contemporanéité des regards : interventions urbanistiques, plus ou moins heureuses, (pensons aux impératifs nécessaires de la gestion de l’abondance des automobiles dans nos villes ou aux exigences envahissantes de la publicité), les comportements publics des individus vis-à-vis du groupe (monde clos du cellulaire, la mode des apparences et des appartenances stylistiques, la solitude, la joie…), les métissages des populations…

Bienveillance
Bien sûr une ville a ses coins d’ombres et d’inégalité sociale et culturelle (là, Sedan n’a rien à envier à personne), mais que ce soit à l’usine, dans les cafés, dans les écoles, dans les commerces ou dans la rue, il faut souligner la gentillesse, l’accueil, les rencontres et les échanges, parfois à teneur politique, dans le respect et la bienveillance qui contredisent l’espèce de morosité et de violence latente entretenue dans les discours des médias mainstream. L’expérience du terrain a confirmé l’enthousiasme initial.

alain janssens